Véronique Roger-Lacan, ambassadrice, déléguée permanente de la France à l’Unesco. DR
L’an passé, vous avez dressé un tableau géopolitique de l’Unesco, dont le comité du patrimoine mondial était présidé par la Russie. Vous aviez face à l’invasion de l’Ukraine plaidé pour la défense de l’universalisme et de la démocratie. Comment s’est passée cette année compliquée, où en est-on ?
L’année a en effet été très compliquée. Dès le 24 février 2022 nous réfléchissions aux moyens de mobiliser l’UNESCO car nous savions que son mandat, éducation, culture, sciences, information et communication, serait affecté dramatiquement par l’agression de la Russie contre l’Ukraine. C’était la présidence française du Conseil de l’Union européenne et ma délégation l’exerçait à l’UNESCO. Nous avons donc décidé de convoquer une session extraordinaire du conseil exécutif. Le lundi suivant nous étions 20 ambassadeurs sur 58 du conseil exécutif dans mon bureau et nous signions un courrier à cet effet à l’attention de la présidente serbe du conseil exécutif de l’UNESCO. Puis nous avons négocié un projet de décision du conseil pour condamner les conséquences sur le mandat de l’UNESCO de l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Cette décision a été adoptée le 16 mars 2022 par 33 voix pour, 1 contre, la Russie, 4 absents et le reste des abstentions. Les décisions à l’UNESCO étant prises à la majorité des présents et des votants, cette décision est désormais le cadre de l’action de l’UNESCO. Il ne nous restait plus qu’à la décliner sur tous les secteurs d’activité à l’UNESCO et donc notamment à destituer la Russie de son mandat de présidente du comité du patrimoine mondial. C’est vite dit, mais la négociation a été ardue et nous ne nous en sommes sortis que très récemment, avec succès, certes. En effet, la Russie ayant déjà à ce moment, et aujourd’hui en tout cas, procédé à la destruction de tout ou partie de 235 sites culturels en Ukraine est en contravention avec ses obligations au titre de la convention de 1972 sur le patrimoine culturel et naturel que les Albigeois connaissent bien puisque c’est sur cette base que la cité épiscopale d’Albi a été inscrite au patrimoine mondial. Cette convention interdit à ses signataires de détruire du patrimoine d’un autre signataire.
Dans ces conditions il était hors de question pour un quart des membres de l’UNESCO que la Russie préside ce comité ni en 2022, ni en 2023 ni jamais à l’avenir. C’est finalement l’Arabie saoudite qui présidera la prochaine session du comité du patrimoine mondial. Autre conséquence de la décision du 16 mars : l’inscription au patrimoine mondial et au patrimoine en péril simultanément, d’Odessa, la ville-monde, la ville-histoire de l’Ukraine. Nous y sommes parvenus aussi, le 25 janvier dernier, après une négociation très pénible où nous avons tous fait face à l’obstruction systématique de la Russie. À travers cette inscription, le comité du patrimoine mondial de l’UNESCO souligne la valeur exceptionnelle de la ville, située sur la mer Noire, de son architecture et de son histoire tant pour l’Ukraine que pour l’Humanité. Autre fait très important pendant notre présidence française de l’Union européenne telle que nous l’avons exercée à l’UNESCO : nous avons fait attribuer le 3 mai 2022 le prix mondial UNESCO – Guillermo Cano pour la liberté de la presse à l’association biélorusse des journalistes. Il nous a fallu pour cela réunir le soutien d’une cinquantaine d’Etats membres de l’UNESCO, fait inédit dans cette organisation sur ce sujet, et d’une dizaine d’associations professionnelles dont Reporters Sans Frontières, pour reconnaître le travail et les conditions de vie inouïes dans la persécution, la détention et l’exil, de ces journalistes biélorusses qui se battent pour une des libertés fondamentales de la déclaration universelle des droits de l’homme, la liberté de la presse et la liberté d’information. Cette année nous plaiderons une autre cause mondiale pour la liberté de la presse. Les sujets ne manquent pas hélas : les femmes journalistes en Iran ou en Afghanistan par exemple. Nous continuons ces travaux, sans relâche.
Quels sont les dossiers en cours pour la France, nouvelles inscriptions…
Outre les sujets évoqués ci-dessus, nous avons en effet la préparation de la 45e session élargie du comité du patrimoine mondial en septembre prochain à Riyad qui traitera des candidatures au patrimoine mondial pour 2022 et 2023 puisque nous avons dû annuler notre participation à la session prévue initialement à Kazan en Russie en raison de l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Pour la France il s’agit de présenter deux candidatures nationales, celle des « volcans et forêts de la Montagne Pelée et des pitons du Nord de la Martinique » qui devait être présentée en 2022 et celle de la Maison Carrée de Nîmes que nous présentons en 2023. Les Albigeois le savent, une candidature au patrimoine mondial est un processus long et exigeant, une dizaine d’années de préparation parfois, avec le comité français du patrimoine mondial. Une fois que ce dernier estime que le dossier est prêt, nous le présentons à l’UNESCO. Cela signifie que nous, la France, nous sommes convaincus du bien-fondé de ces candidatures et que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour en convaincre les organismes d’évaluation, ICOMOS pour les candidatures culturelles, IUCN pour les candidatures naturelles, puis le comité du patrimoine mondial, c’est-à-dire les 21 Etats qui le composent. Vous le savez, les organismes d’évaluation peuvent rendre 4 types d’avis, inscription, renvoi, différé, ou non-inscription. Le travail diplomatique de conviction est plus ou moins fourni en fonction de l’avis rendu. L’avis est rendu six semaines avant la date de la tenue du comité.
Nous sommes donc dans la phase d’attente de l’avis pour les deux candidatures, mais nous sommes convaincus de leur bien-fondé. La candidature de la Martinique me tient particulièrement à cœur en raison de ce qu’elle projette de diversité, d’universalisme et de générosité de la France. Générosité de la Martinique avec cette nature flamboyante, cette biodiversité exceptionnelle, la géologie remarquable et unique au monde de la Montagne Pelée. Autant de trésors qui appartiendront à l’humanité tout entière avec cette inscription au patrimoine mondial. Générosité des Martiniquais avec tout ce qu’ils ont sacrifié pour la protection de leur terre contre les promoteurs peu scrupuleux, contre les architectes véreux, pour la préservation de leur culture créole, la connaissance des plantes et sa transmission, les chants, les danses, les contes qui y correspondent, envers et contre tout, dans le contexte de l’esclavage et de la colonisation. Cette humanité contre tous les éléments doit être inscrite au patrimoine mondial. S’agissant de la Maison Carrée c’est tout autre chose, mais c’est fondamental aussi. Je dis toujours que la Maison Carrée, la belle antique, a traversé le temps, de la Pax Romana à la démocratie française et qu’en tant que telle, nous devons l’accompagner tous ensemble vers la valeur universelle exceptionnelle du patrimoine mondial. Je suis de tout cœur avec les Nîmois et ensemble nous obtiendrons cette inscription.
Propos recueillis par E.D.
Source : ladepeche.fr
Une réponse
La Montagne Pelée symbole d’existance, de résistance, et d »humanité. Humanité des races , des peuples, et de la dignité humaine.
OUI la Montagne Pelée a l »unesco.